Métaphysique du quotidien

1978-2004 JACK VANARSKY

Traiter l’immobilité par le mouvement, la quiétude par l’inquiétude, l’absence par la présence, le mou par le dur, le continu par le discontinu, le silence par le bruit. « Poursuivre le repos dans le drame du mouvement » disait Élie Faure.

Quand j’ai commencé à réaliser des objets figuratifs et mobiles — des sculptures animées — tout en voulant que le mouvement réel contribue à un certain réalisme, je trouvais nécessaire qu’il ne fut qu’un paramètre de plus, aussi propre à la manipulation et à la métaphore que le sont le dessin, la couleur ou le volume. Il fallait refuser la légende de Michel Ange frappant le Moïse pour qu’il parle — comme s’il avait besoin de parler ! — échapper au robot anthropoïde forcément maladroit et insuffisant face à ses modèles, ignorer les transcriptions anatomiques, pour inventer une anatomie spécifique et évidente des objets.

Et je suis venu à la conformation de mes sculptures par une succession de tranches topologiques. Cette coupe en lamelles n’est pas, pour moi, une opération chirurgicale, mais un système de langage. Je décompose une forme en une série de profils un peu comme, toutes proportions gardées, les impressionnistes décomposaient la couleur. Un mécanisme occulte actionne l’ensemble. J’espère, par cette mise en oscillation des profils à la recherche continue et infructueuse de leur image totalisante, trouver une sorte d’irisation du temps (comme il y a irisation dans l’espace impressionniste).

Ainsi, à mon avis, le mouvement réel dans mon travail n’a que peu à voir avec la représentation du mouvement, du déplacement ou de l’action effectuée par quelqu’un. II s’agit plutôt de la représentation d’une attente, d’un souvenir, d’un désir, du temps qui passe ; la lenteur des ondulations approche du rythme respiratoire du spectateur, et l’animation n’est qu’une manière de ponctuer le repos.

Maintenant, je suis sur la trace des traces, comme un Sherlock Holmes recherchant, pour les mettre en conserve, des indices dénonciateurs. Des fragments du plancher ou du mur, table ou oreiller, vitre ou miroir, qui gardent, ici l’empreinte d’une main, là le creux d’un pas, le reflet d’un visage, restes de gestes et de regards, témoignages d’une présence absente. Ce qui bouge n’est même plus la représentation d’un personnage qui a pu bouger, mais la représentation de son passage furtif. Dessinés dans le vide, les êtres ont cédé leur matérialité vivace aux choses qu’ils effleurent, aux lieux qu’ils hantent.

Texte daté du 2 mai 1978, rédigé par Jack Vanarsky pour le catalogue de I’exposition « Metafisica del quotidiano, I’aventura dell’oggetto », exposition de groupe présentée par Pierre Restany.
Republié dans la revue Verso, n°33, 2004.
© Atelier Jack Vanarsky

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