La mêlée des poils

Écrits de Jack Vanarsky

2003 JACK VANARSKY

Tourner autour du poil peut devenir rasant. Si je me risque dans ce maquis, ce n’est pas pour des raisons théoriques. Je me suis rapproché du poil d’un point de vue de praticien et à des fins, d’une certaine façon, fonctionnelles. 

Je m’intéresse de longue date, en tant que sculpteur-lamelleur, à des zones variées de l’anatomie humaine, en me souciant de les choisir glabres. Même quand j’ai réalisé un portrait en trois dimensions, c’est à notre satrape posthume Roland Topor, et avant qu’il ne le devienne, que je me suis adressé, en pensant que, parmi ses hautes qualités, il avait celle de posséder  une bonne bouille ronde et chauve : j’ai besoin de précision dans les formes et, de préférence, des reliefs et de continuité dans les surfaces. C’est cette configuration qui met le mieux en évidence les anomalies qu’opère le découpage en lamelles. L’apparence de l’indécis, du changeant, ne me convient pas. Mes fabrications le sont assez par elles-mêmes. J’ai bien représenté, sur un torse qui date des années 70, une longue barbe aux ondulations assyriennes. Elle était formée de nombreuses gidouilles, ce qui la rend sympathique. Toutefois, taillée dans des plaques de bois, elle a la rigidité des masques de fêtes foraines. Hormis cette exception et une ou deux autres, bien minimes, je suis resté dans les peaux lisses. Les seins et les fesses hémisphériques, un ventre de femme enceinte, sont des sujets idéaux pour mon traitement. Je les saucissonne finement et les tranches, en bougeant, présentent des ruptures de continuité presque invisibles. Le but de faire des mobiles à la limite de l’immobilité est presque atteint.
Ces derniers temps, je me suis penché sur les pubis féminins. Le pubis féminin, le Docteur Freud l’a assez observé, manque de relief, tout au moins, pour une observation à moyenne distance. Qu’on ne me méprenne. Je ne suis absolument pas contre le pubis féminin. Tout au contraire. Mais ma mécanique ondulatoire a ses exigences. J’ai besoin de rotondités.

Il y a, il est vrai, la sphéricité du ventre et les deux colonnes cylindriques des cuisses, mais la vallée centrale entre ces trois éléments, en position verticale, offre peu de protubérances et se trouve à l’ombre. En tout cas, telle est l’image qui nous a légué l’art occidental, avant Courbet. Dürer, et d’autres, avait résolu la question en y posant une feuille, Cranach y avait glissé des voiles, la Venus de Titien y avait placé sa main. Mais « la Source » d’Ingres, qui a ses deux mains occupées ailleurs, présente une nudité toute dépouillée. Et sans un poil, même pas celui qui aurait pu être abandonné par le pinceau du peintre, qui soignait si finement ses surfaces. Notons à ce propos que, pour un esprit très regardant sur la moralité, une telle représentation féminine est préoccupante. Elle est l’indication d’un corps impubère et à l’extrême limite du déshabillage. La protection de l’enfance devrait se pencher sur cette inconvenance. En tout cas, j’ai voulu, tout au moins, offrir une image adulte de la dame. Sur l’effet plan d’eau d’un de mes exercices de symétrisation, j’ai déposé les chutes de son rasage intime. La peinture d’Ingres échappe ainsi aux foudres de la Loi. Mais le rasage n’est pas moins un geste exhibitionniste. Faute de feuille de vigne ou, à la rigueur, de slip, une bonne motte est plus décente.
Abrité de ces deux considérations, formelles en ce qui concerne le mont de Venus chauve et à l’ombre, et de moralité, quant à sa nudité, j’ai décidé d’offrir une chevelure à mes pubis animés. Ceci doit être pris au pied de la lettre. J’avais observé que ma brosse a tendance à récolter de plus en plus une partie de ma couverture capillaire. Et j’ai une attirance pour le body- art, quand il n’est pas douloureux. J’ai donc, dirigé vers les bas-ventres de ma confection ce qui sortait de ma tête. Ceci a nécessité de quelques opérations chimiques et de quelques tâtonnements, mais finalement, tout a tenu en place. Mes corps en lamelles ondulent d’une langueur monotone. La mêlé de poils fait flotter un nuage élastique plus ou moins dense sous lequel le va et viens des lamelles fait et défait des vulves discrètes.
Comme je prétends que mes sculptures ne représentent pas des objets, mais le désir d’eux, ces œuvres ont pour titre : « L ‘appel de la forêt ».

2006. Écrits de Jack Vanarsky.
© Atelier Jack Vanarsky

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