Lamellisations [extrait]

Écrits de Jack Vanarsky

2005 JACK VANARSKY

Disons le tout de go, la « lamellisation » n’est pas une contrainte. Certes, d’un point de vue strictement matériel, si l’on considère la longue corvée de cisaillage et le délicat labeur du collage, c’en est une. Mais pour la réflexion rigoureuse d’un Oupeinpien, la lamellisation n’est pas une contrainte : c’est un procédé
Nous appelons lamellisation, donc, le procédé qui consiste à découper une feuille de papier ou une autre surface plane, portant généralement une image, qu’elle soit dessin ou peinture originale, estampe, photo, reproduction, ou bien texte, publicité, trame, tache, ou bien plusieurs images, textes, etc., en bandelettes ou « lamelles » et à les recoller en les déplaçant selon un programme prédéterminé. 
Ce type de travail est l’héritier d’une tradition à laquelle appartiennent les déformations des miroirs incurvés, les anamorphoses, les mille variations des collages de Ji˘ri Kolá˘r (le bien nommé) et les découpages en disques concentriques de Pol Bury. La lamellisation est un exercice oupeinpien parce qu’elle se plie – et seulement si elle se plie – à des contraintes
En ce qui me concerne, la lamellisation vient de la transposition sur deux dimensions de ce qui constitue une constante de mon travail de sculpteur, qui construit des objets animés formés de lamelles : tranches successives et ondulantes. Ces objets obéissent à des critères trop larges, généralement, pour entrer dans le carcan strict de l’Oupeinpo. Les lamellisations bidimensionnelles, en revanche, répondent toujours avec respect à un ordre inéluctable. Cet ordre, cette intimation impérative constitue leur « contrainte ». 
Ainsi conçue, la lamellisation est un exercice de sobriété et même, osons le dire, une ascèse. Il s’agit d’offrir le moins de marge possible à l’improvisation et à l’enjolivement. La seule initiative intervient au tout début de l’opération. Une fois choisis et le sujet qui sera l’objet du dépeçage lamellisateur et le programme de la contrainte, leur destinée est signée au-delà même des desiderata de l’auteur. Celui-ci sera le premier surpris des conséquences parfois exacerbées, parfois paradoxales, souvent catastrophiques, de la consigne initiale. L’intervention corrective est prohibée. On peut, tout au plus, souligner un trait ou jouer de la mise en page pour affermir le propos. On peut, surtout, profiter de l’expérience pour corriger ou modifier le protocole initial et prédéterminer un cheminement différent, aboutissant à un résultat plus clair, plus frappant ou plus exemplaire.
Ainsi, la contrainte par lamellisation passe par les étapes suivantes :

1. le choix de l’image initiale ;
2. la définition de la contrainte ;
3. la définition du point de départ :lieu et direction de la première coupe, largeur des lamelles ;
4. la mise en œuvre avec, dans certains cas, des marges d’option particulières en cours de route ;
5. le résultat, avec ses conséquences attendues et inattendues ;
6. la modification des préalables pour recommencer le processus. 
Du point de vue de la procédure, toutes les lamellisations appartiennent à la même famille. On peut différencier, mais c’est un critère purement technique, celles qui sont fabriquées avec des ciseaux et de la colle, de celles auxquelles l’ordinateur, cisaillant, mélangeant et recombinant dans le virtuel, donne la touche de modernité. 
La diversité des espèces est plus significative en ce qui concerne les caractéristiques et la mise en place des lamelles. Elles peuvent être d’égale largeur ou de largeurs progressives. Elles peuvent glisser parallèlement les unes aux autres ou suivre des angles variables. Elles peuvent s’écarter ou se superposer. 
Préalablement, l’objet de départ, victime ou bénéficiaire des transformations, peut être une image unique, plusieurs exemplaires de la même image ou des images différentes à combiner. Dans tous les cas, qu’elles restent présentes dans leur conformation initiale ou qu’elles ne survivent que dans l’apparence post-lamellisage, ces images du début restent le témoin nécessaire, la référence évidente ou tacite. Sans elles, le résultat final sera opaque pour le spectateur. Il est des cas où un minimum de culture – des connaissances géographiques, par exemple, dans le Redressement du cours de la Seine – peut se révéler impératif. Cela évitera les lourdeurs et l’abus des explications. 
Les contraintes fixent l’objectif à atteindre : correction du tracé, rectification, symétrisation, etc. On donne ci-dessous un organigramme des contraintes utilisées ou utilisables. [1]

Mais toutes les expériences lamellisatrices exposées ici, qui reposent sur une référence claire, sont des variations sur la ressemblance, ou plus largement, la « semblance » : ressemblance, dissemblance, fausse-semblance, vraisemblance, invraisemblance.

[1] Organigramme à consulter dans la version publiée, référence ci-dessous.

Paru dans Du Potentiel dans l’Art  Éditions du Seuil, 2005 (extrait)
© Atelier Jack Vanarsky

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