Toporgraphie [ extrait ]

2007 Jack Vanarsky

Je dois à Gustavo Kortsarz, non seulement un film qui développe certaines de mes idées d'une façon différente, dans un champ qui n'est pas le mien, mais aussi, de m'avoir donné l'occasion de prolonger, dans mon propre champ, quelques idées, ou envies, ce que je n'aurais peut-être pas entrepris sans cette circonstance.

Depuis bien longtemps, je réalise des sculptures animées et des collages dont le dénominateur commun est la conformation en lamelles. Les lamelles articulées sont, en quelque sorte, l'anatomie de mes sculptures. Et, si je poursuivais l'analogie, le mouvement lent et ondulatoire serait leur mode physiologique. Les sujets initiaux étaient des masques. J'ai vite senti que ces masques devaient être très hiératiques, pour réserver plutôt au mouvement les capacités d'expression, d'émotion, de suspens, de drame. J'ai fait des masques « génériques », non individualisés. Je ne voulais pas réaliser des portraits à la manière traditionnelle, en sculptant devant le modèle ou en faisant appel au moulage. Le mode le plus apte pour reproduire un visage en volume en gardant la majeure neutralité, en évitant ma subjectivité d'artiste, était d'empiler une suite rapprochée de profils du personnage comme on superpose une succession de courbes de niveau pour réaliser la maquette d'une colline.

Vers 1980, j'ai découvert, dans une revue de muséologie je crois, un article sur la photogrammétrie. A l'époque, il s'agissait d'un dispositif constitué d'appareils photo analogiques, naturellement, et de théodolites, expliqué par des schémas graphiques et des exemples d'application (des sculptures monumentales de l'antiquité égyptienne et grecque). Le procédé donnait le tracé des coupes frontales des figures. Il était destiné à la conservation et la restauration des œuvres. J'ai essayé d'imaginer une « solution maison », pour transposer le système sur un modèle vivant, mais je n'ai pas poussé l'idée, probablement impossible avec les moyens dont je disposais.

Ce n'est que presque vingt ans après que la proposition du film m'a ouvert cette possibilité. L'évolution de l'informatique la rendait accessible. Gustavo Kortsarz a décrit comment la chose a pu se faire. Et ses péripéties. J'ai proposé à Roland Topor de servir de modèle. Il fallait un scanneur à 360°, sa transformation en image 3D et l'extraction des coupes sagittales tous le 4mm. Le scanneur dont nous avions besoin était indisponible à un certain moment. J'avais accès à des scanneurs médicaux et les spécialistes étaient très contents de pouvoir inspecter la tête de Topor. Mais différentes raisons nous ont dissuadés d'utiliser ces moyens et nous n'avons pu récupérer l'appareil prévu initialement. Quelques mois après Roland Topor est mort d'une rupture d'aneurisme au cerveau. Nous ne saurons jamais si ce scanneur non effectué aurait pu découvrir l'anomalie. Quand j'ai réalisé la sculpture, Topor venait de mourir. J'ai abandonné l'idée d'un portrait quasi hyperréaliste. J'ai gardé brutes les strates des découpages des profils, j'ai dépouillé l'entour du masque, j'ai laissé visible le moteur. J'ai aussi réalisé deux variantes anamorphiques, en changeant l'épaisseur des lamelles.

Un aspect du travail que j'ai apprécié est que le recours à l'informatique n'est pas visible. Il arrive que l'on s'épate de mes œuvres parce qu'elles semblent bouger d'une manière très sophistiquée. Mais leur mécanique est très simple et primitive. J'aime qu'une de celles qui est la plus dénudée n'exhibe pas aux non prévenus les nouvelles technologies qui ont permis sa gestation.

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Description du travail réalisé dans le cadre de la video Toporgraphie (Kortsarz, Vanarsky). Présentation orale à Intersculpt 2007, Sculpture Numérique et Biomorphisme, Nancy.
© Atelier Jack Vanarsky