2005 Jack Vanarsky
Communication relative à la conception d'un dispositif destiné à rendre opératoire la symétrisation d'instruments à dessiner ou à peindre, ainsi qu'aux considérations théoriques qui en découlent et à quelques inventions nouvelles qui remontent à la plus haute antiquité.
Avec, en annexe, 9 digraphies du portrait du Chat du Cheshire, par le même auteur, qui infirment partiellement son analyse, mais confirment sa conclusion.[1]
La symétrisation des outils à dessiner et à peindre — tâche liée au Grand Œuvre — a donné lieu au sein de l’Oupeinpo à une étude sur le crayon et le pinceau à deux bouts. Une proposition a suggéré la fabrication d’un pinceau monumental porté sur les deux épaules et agissant simultanément sur deux toiles opposées. Une autre a émis l’hypothèse que Michel-Ange, contrairement à la légende qui veut qu’il ait peint le plafond de la chapelle Sixtine couché sur un échafaudage, aurait en fait travaillé tout naturellement debout sur le plancher, grâce à un pinceau suffisamment long et à deux bouts, l’un suivant un poncif au sol et l’autre traçant en même temps la fresque sur le plafond.
Pour notre part, il nous a semblé nécessaire de concevoir un artefact de table — et, pour ainsi dire, de laboratoire — aussi utile pour la recherche dans le silence de l’atelier que facilement transportable pour le croquis en plein air.
L’appareil comporte deux plateaux de dimension modeste, placés à l’horizontale l’un au-dessus de l’autre. Ces plateaux sont maintenus écartés par quatre tiges filetées munies d’écrous qui permettent de varier la distance entre eux. Des feuilles de papier sont collées sur la face supérieure du plateau inférieur et sur la face inférieure du plateau supérieur. L’élément actif du dispositif est un crayon aux deux bouts affûtés. Il peut être remplacé par tout autre outil à deux pointes, mais les pinceaux et les stylos, où la coloration est produite par un écoulement vers le bas, sont déconseillés (en raison de la loi des Rapports entre les Pinceaux et la Gravitation Universelle, dite loi de Winson et Newton).
Nouveaux aperçus p. 24
Présenté en séance de l’Oupeinpo, l’appareil fut soumis à un premier essai expérimental, à caractère intuitif. Qu’il nous soit permis maintenant de tenter un examen plus méthodique et approfondi du dispositif.
Nous appellerons Digrapheur le dispositif composé de deux surfaces opposées S et S’, séparées par une distance x, et d’un crayon à deux pointes P et P’, d’une longueur HB (notation non classique, en hommage à messieurs Caran d’Ache, Faber et autres Stabilo).
Posons S parallèle à S’.
Trois situations se présentent :
1) x > HB
2) x = HB
3) x < HB
Laissons de côté la situation 1, que nous examinerons plus tard.
Quand le crayon est posé perpendiculairement aux deux surfaces S et S’, et seulement dans ce cas, à chaque point A, B, C,… N marqué par la pointe P du crayon sur S correspondra un point A’, B’, C’,… N’, et un seul, marqué par P’ sur S’. L’ensemble des points sur S’ sera superposable à S. Mais il suffira d’une infime inclinaison du crayon pour élider un point. Une ligne continue sur S ne donnera alors pas une ligne continue sur S’.
L’ensemble de figures possibles — continues et discontinues — sur S’ constituera une famille homologue d’une figure particulière sur S.
(…)
[1]
(…)
Si S et S’ ne sont pas parallèles, tous les stades analysés se réalisent pour une famille de dessins.
Un facteur plus dramatique est l’usure des pointes du crayon. Ici, x est fixe, mais c’est HB qui devient variable. (D’ailleurs, il y aurait lieu de changer l’appellation de cette longueur puisqu’un nouveau facteur est lié à la résistance des différents types de mine, entre 6H et 6B.)
Le crayon, dont la longueur est initialement supérieure à x, raccourcit à mesure que le dessin avance. Le cercle potentiel que la pointe P’ trace par rapport à P se réduit progressivement. Le dessin sur S’, très différent au départ de celui de S, lui ressemble de plus en plus; quelques points coïncident fugacement quand x = longueur du crayon, mais déjà il ne reste d’autre recours, le crayon devenant trop court, que le geste nerveux et le pointillé, jusqu’à la limite d’utilisation du crayon ou des possibilités gestuelles de l’opérateur.
Une étude reste à faire : celle de la couleur. Notons qu’une petite tache de peinture faite par un pinceau sur S provoque une grande tache sur S’. Ainsi, des couleurs mélangées optiquement, à la manière pointilliste, sur S, se superposeront et donneront un mélange pigmentaire sur S’.
Conclusion
On a pu prétendre que le Digrapheur n’est qu’un pantographe imparfait. Il n’en est rien. Le pantographe est un outil de précision. Le Digrapheur, lui, est un outil d’imprécision, dont le but est d’obtenir d’une façon rigoureuse un résultat improbable.
[1] Suite de l’analyse des situations à consulter dans la version publiée, référence ci-dessous.
Paru dans Du Potentiel dans l'Art Editions du Seuil, 2005
© Atelier Jack Vanarsky