2007 Jack Vanarsky
Sacrifice exécuté par Jack Vanarsky, le dimanche 1er avril 2007 au Palais de Tokyo, Paris, lors des États généraux du Poil, organisés par le Collège de Pataphysique.
Dans cette rencontre chaleureuse de la science, de la philosophie et des arts, autour du Poil, pour ancrer sa racine dans la chair, il fallait, Mesdames, Messieurs, quelque chose de plus : un Sacrifice Humain. Depuis des décennies, je porte sur mes épaules le poids d’une Sommité. J’avais dépassé de peu mes vingt ans quand j’ai décidé de me faire une tête. En remontant plus loin, même, j’avais déjà, enfant, imaginé la figure d’un artiste à la chevelure hirsute et aux moustaches frondeuses, dont je me proposais d’illustrer la vie et l’oeuvre sur des cahiers d’écolier. Ma mère a contrecarré, à ’époque, ma vocation capillaire. Elle m’imposa la media americana. La « mi-américaine » était, en l’Argentine de l’immédiate après-guerre mondiale, la version tempérée de la coupe sévère des soldats de l’U.S.Army : nuque, oreilles et tempes dégagées, raie de côté, toupet, le tout consolidé par la gomina. À la fin de mon adolescence, j’ai pris ma liberté. J’ai cru, sans doute, affirmer ma virilité par l’abondance pileuse. Et c’est alors que, très doucement, année après année, IL s’instilla en moi, par les pointes. IL ne pénétrait pas dans mon crâne, IL ne m’a fait comprendre aucune formule, IL ne m’a pas ouvert la porte de la science, ni même celle du violon. IL est resté dehors, comme une pellicule, collé à moi. Une période barbue retarda l’invasion. Ensuite, à mesure que le châtain passait au gris, et le gris au blanc, à mesure que le front se prolongeait vers le haut, que les joues se creusaient, en déclinant vers le bas, que se dessinaient des rides de plus en plus profondes au dessus de mes sourcils, que les paupières s’affaissaient autour de mes cils, plagiaire par anticipation, IL prit ma place. Maintenant, IL est partout où je suis, pas en me suivant, mais devant moi, m’escamotant. Tout le monde le voit… En réfléchissant, moi aussi. On me montre du doigt, on parle de lui sur mon dos, on m’aborde chaque jour dans la rue : « Vous a-t-on jamais dit…? » Un vieux monsieur respectable observe : « J’ai dîné une fois avec lui, en 45 ; savez-vous que vous lui ressemblez ? » ; un clochard m’envoie un signe amical : « Salut, Albert ! » Des gens me font un grand sourire et me tirent la langue. (…) Même dans mon entourage, on me dit, d’un regard entendu : « Tu cultives bien SA tête. » Et moi, derrière ma cage pileuse, je suis comme l’homme au masque de fer, je suis là à crier : « Je suis moi, là ! » (…)
Eh bien ! J’en ai assez. Basta. Qui est le chef de mon chef ? C’est moi ! Ce soir, j’enlève le haut. Je fais mon strip-tease. Il sera moins attractif que celui de Mademoiselle Dombasle, mais pas moins courageux. Ici, devant vous, live, je me mets à poil : je coupe mes poils. J’avais pensé faire appel, pour l’exécution, à un homme de l’art. Mais la découpe, c’est aussi mon rayon. J’œuvrerai de mes propres mains, tout seul, à la diable. (…)
[1] Suite de l’analyse des situations à consulter dans la version publiée, référence ci-dessous.
Extrait du texte de la performance de Jack Vanarsky, réalisée dans le cadre des États généraux du Poil, organisés par le Collège de Pataphysique, au Palais de Tokyo, Paris, 2007.
Sacriifice Humain Edition Au Crayon qui tue
© Atelier Jack Vanarsky