1984 Gilbert lascault
Non sans humour, J.V, crée en 1982 son Mètre étalon. C'est une mesure sournoise, instable, trompeuse, qui ondule lentement comme un serpent. C'est un mètre animalisé, en perpétuelle transformation, refusant le statut d'instrument. C'est une règle indisciplinée, perturbante et perturbée, une règle qui se moque des droites. Nul ne saurait la mesurer exactement, ni mesurer autre chose avec elle. Elle fait rêver à des géométries ambigües et floues, à des figures mathématiques qui frissonneraient, tressailliraient. Elle aide à imaginer des carrés trembleurs, des respirations de rectangles.
La série des Flèches de J.V. commence en 1983. À leur propos, J.V. évoque les peintures pariétales ; il se rappelle que la flèche est l’un des signes utilisés par l’art à son origine. Dans Scène de chasse, les silhouettes de petits chasseurs, venues de l’art rupestre, soulignent la référence à la préhistoire. Les flèches se dessinent devant le fond rugueux, tache, forme de planches d'emballage maltraitées, dont certains bords sont brisés. Ce fond évoque, pour J.V, la surface non préparée, non polie des grottes... À d'autres moments, les macules de ce fond sont rêvées par J.V. comme nuages que traverserait, que pénétrerait la flèche.
Cette série de J.V. nous amène à nous souvenir de bien des flèches qui se rencontrent dans les œuvres d'art : celles qui blessent une lionne sur un bas-relief assyrien, celles d'Apollon (qui donnent la peste), celles d'Artemis, celles d'Eros, celles qui percent le corps de saint Sébastien, celles que peignent Fernand Léger et Paul Klee... Face à ces flèches de J.V., subtilement animées, mais qui n'avancent nullement vers leur cible, qui vibrent " sur place ", vous penseriez peut-être aussi à la flèche paradoxale du philosophe grec Zenon, telle que Paul Valery l’évoque dans le Cimetière marin : " Zenon ! Cruel Zenon ! Zenon d'Elee ! / M'as-tu percé de cette flèche ailée / Qui vibre, vole et qui ne vole pas ! ".
Dans toutes ses sculptures, J.V. anime de mouvements lents des lignes ou des objets. Des livres ouverts respirent, frémissent, livres vivants qui n'ont peut-être nul besoin de lecteur. Un paillasson (où s'inscrivent les traces de deux pieds nus) se meut lentement, anime d'une vie inquiétante. Neuf feuilles de vigne vierge, placées en haut d'une palissade marquée de graffitis, remuent selon des rythmes différents. Les os d'un crâne perdent leur dureté immobile, se gonflent et se dégonflent. La trace d'une main sur une vitre, l’empreinte d'un visage sur un oreiller bougent, une oreille isolée de toute tête, vit sa propre vie, autonome. Tour a tour, ces mouvements nous amusent et nous inquiètent.
Ou bien, en 1984, avec irrévérence, J.V. transforme un tableau de Mondrian en bas-relief de bois et fait onduler, lentement mais inlassablement, une des horizontales de la peinture. Il perturbe le calme, la sérénité que Mondrian voulait instaurer dans son œuvre. Impertinent, il définit l’austère peintre géométrique comme " Hollandais volant ". Mais cette insolence est également un hommage.
Dans un texte publié en automne 1982 dans la revue internationale Leonardo, J.V, définit avec exactitude ses sculptures : " Mes œuvres apparaissent comme des sculptures animées, formées de lamelles mobiles implantées sur ou dans des objets qui leur servent de support, d'habillage du mécanisme et de contexte. " Le mécanisme qui fait bouger les lamelles est caché. Dans son texte, J.V. souligne le souci du peu, qui oriente son travail : " De la figuration, mais peu. Du mouvement, mais peu. De la technique, mais peu ". II retrouve ainsi certaines préoccupations de Marcel Duchamp intéressé par les " petites énergies ", par la " puissance-timide " et imaginant pour l’exposition surréaliste de 1938 une " rue faible ".
Fasciné par les contraires, J.V. produit, dans ses œuvres, des jeux entre le mobile et l’immobile, entre le frustre et le raffiné, entre le géométrique et ce qui le nie, entre le déchiqueté et le lisse, entre l’inquiétant et le cocasse.
© Gilbert Lascault 1984. " Les Lentes animations de Jack Vanarsky ". Catalogue Jack Vanarsky, Galerie Lucien Durand, Paris, 3 p.