1987Saul Yurkievich
Les corps se gondolent subtilement mus par une torsion continue de vitesse uniforme. Sectionnés en fines lamelles, cette énergie ondulatoire les impulse qui, on le sait, se propage au sein de toute matière. Ici, ce flux acquiert une délicate extériorisation. Il équivaut au souffle, au frémissement vital. Ainsi palpitent non seulement le visage ou la main, mais aussi le crâne ou une pomme. Palpitent les solides et palpitent les marques. Tant la foulée du pied que l’empreinte digitale sont pulsatives. Vanarsky pratique les arts d’enchantement. De là que ses expositions tiennent en quelque sorte du cabinet magique. Certes, Vanarsky est un illusionniste qui trompe avec des subterfuges électriques. Mais on ne doit pas assigner ses manipulations à l’ordre technologique. Elles tiennent davantage du jouet que de l’artefact, plus de la momie ressuscitée que de la machine, plus de Golem que du robot. Certes, il s’agit d’une figuration réaliste aux dimensions naturelles, mais animée par un mouvement d’anamorphose qui la rend inquiétante.
Souvent, entre l’objet et le mouvement il n’est aucune correspondance. Mouvement réel que déréalise cette métaphore naturaliste qu’est l’objet sculptural : bal masqué. Pour fomenter l’équivoque, Vanarsky prend pour référent la peinture de Mondrian, cette ascèse absolutiste. Et il la parodie avec du bois de coffrage, faisant osciller quelqu’une des barres noires. Hommage et farce de l’émule admiratif. Vanarsky poursuit la qualité picturale, il l’accentue. C’est ainsi qu’il use pour ses constructions de planches vieillies, vestiges d’anciens meubles : reliques du temps passé.
Toute pièce de sa facture exerce une sensuelle séduction chromatique. Toute composante de ses assemblages peut insinuer une feuille, une flèche, un mètre, un cadran. Elle est dès lors prise d’un tremblement d’outre-tombe. Surprise. Le livre ouvert s’agite comme feuilleté par un homme invisible. Les jeux de Vanarsky ne se limitent pas à fluidifier le solide. Ils ont un pouvoir hypnotique. En eux tressaute l’autreté.
© Saul Yurkievich Mars 1987 — Texte écrit pour 'lexposition : « Vagabondages » au Centre Culturel Gérard Philipe du Plessis-Robinson